Noëmi Waysfeld chante Barbara

Lieu : Bruxelles Centre culturel d'Uccle

Barbara de mille feux…

Avec l’orchestre European Philharmonia (dirigé par Walter Proost)

Chanter Barbara, ce n’est jamais chanter Barbara seulement. Le vertige interdit qu’il s’agisse d’autre chose que d’un autoportrait. Mais écartons d’emblée le cousinage de cheveux noirs et de pommettes saillantes : Noëmi Waysfeld s’aventure dans une autre parentèle en enregistrant enfin une œuvre avec laquelle elle vit depuis toujours.

On a découvert cette chanteuse explorant d’album en album la poésie yiddish, des chants de prisonniers du goulag soviétique à une inattendue promenade dans le patrimoine du fado portugais, puis s’aventurant sur le planisphère du tango avec l’Ensemble Contraste ou chez Franz Schubert avec le pianiste Guillaume de Chassy. « Je ne cesse d’interroger quelque chose qui est très ashkénaze : la question d’un exil ou d’une déchirure dont la musique serait une réparation, et le seul vecteur de communication avec les cœurs d’autres êtres humains, résume-t-elle. Barbara m’aide à préciser des contours que je ne parvenais pas à préciser auparavant. »

L’idée en est venue lors de la préparation d’un spectacle éminemment français, le cycle de mélodies Cueillir le jour du compositeur Fabien Cali autour de la poésie de Pierre de Ronsard en 2022 : « Pendant la balance, je chante impromptu un extrait de Mon enfance. Trois minutes avant le concert, Fabien entre ma loge et me dit : « Veux-tu que j’orchestre pour toi des chansons de Barbara ? ».

Proposition sérieuse. Débora Waldman, directrice musicale de l’Orchestre national Avignon-Provence, et le label Sony Classical sont séduits par ce projet qui prend aussi à contrepied son interprète. Barbara ramène son interprète quelque part où sa carrière n’avait pas encore cheminé. Née à Paris de lignées est-européennes emmêlées, elle a appris le yiddish que personne ne parle plus dans sa famille et exploré la mémoire du monde englouti dans la Shoah. Elle pratique un autodidactisme paradoxal : dix ans de violoncelle classique, dix ans de cours de théâtre, mais le chœur de son apprentissage tient dans « les leçons de chant que me donne ma sœur tous les jours de mes trois ans à mes vingt-sept ans ». De treize ans son aînée, la mezzo-soprano Chloé Waysfeld sera fauchée par le cancer à la quarantaine, en 2013.

Pour aborder l’œuvre de Barbara, elle mêle d’inépuisables classiques et des chansons plus rares, sans négliger le répertoire solaire d’une autrice et compositrice douée pour la jubilation et la sensualité. Pour ces quinze chansons, elle souhaite une sobriété vers laquelle convergent Fabien Cali et Débora Waldman, l’orchestre épousant son souffle, tout comme le pianiste Guillaume de Chassy pour deux titres. Dans le sacré du chant de Barbara comme dans son espièglerie, dans les lueurs de l’enfance comme dans les ombres de la mélancolie, il ne s’agit pas seulement d’explorer un bagage de notes et de mots, mais aussi de ce patrimoine d’émotions, d’aveux et de silences qui participe à l’identité de millions de francophones.

Au passage, un double symbole de cette continuité : Maxime Le Forestier est venu joindre sa voix à la sienne dans La Dame brune, enregistré par Barbara en 1967 avec Georges Moustaki, et, pour Le Bois de Saint-Amand, Noëmi Wasfeld a convié sa propre fille à chanter avec elle. Toujours, de génération en génération, le génie d’autoportraits à jamais partagés.